Lettres ouvertes

Quand les tensions climatiques s’invitent au réveillon

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24 décembre 2024, 20h12. Le réveillon de Noël tant attendu. Coincée entre sa tante Diane et son cousin Francis, Julie aurait dû choisir sa place plus stratégiquement. En face d’elle, son frère s’est emparé de la meilleure chaise entre sa mère et son neveu de 5 ans.

Ils n’en sont qu’à l’entrée lorsque Francis, vêtu de son plus beau chandail de Noël, lance : « Il fait frette aujourd’hui, hein… Et on nous achale avec le réchauffement climatique ! ». À ses côtés, Diane lève les yeux au ciel avant de répliquer : « Dire qu’en 2024, certains confondent encore météo et climat… ». La soirée promet d’être longue.

Cette scène vous rappelle des souvenirs? Pas étonnant puisqu’au Québec, deux personnes sur trois disent avoir vécu des situations de polarisation dans leurs relations personnelles, souvent sur des sujets sensibles comme la politique ou les valeurs sociales. Environ 40 % affirment avoir perdu des amis à cause de ces divergences (1)​.

On dit que les Québécois n’aiment pas les conflits. Comme 62 % d’entre eux (2), Julie se garde d’aborder certains sujets pour éviter des situations conflictuelles. La crise environnementale, qui touche intimement aux valeurs et modes de vie de chacun, fait partie de ceux qu’elle préfère esquiver.

Mais Julie peine à rester calme quand son cousin lance : « Si tout le monde était végétarien comme toi, l’économie des régions s’écroulerait ! ». Diane, mâchoire serrée, a le visage aussi rouge que le vin sur la table. Les réunions de famille ont cette faculté d’exposer des divisions… ou de rapprocher des points de vue en apparence opposés.

Quand Julie constate par la fenêtre l’absence de neige, elle repense aux réveillons blancs de son enfance et ressent une inquiétude grandissante face à ce monde qui change. Et elle n’est pas la seule, puisque 73% des Québécois de 18 à 34 ans se disent écoanxieux (3) et que 52 % des entreprises affirment avoir été affectées par des phénomènes climatiques l'an dernier (4). Lorsqu’il s’agit du climat, 71% de la population a un niveau de littératie climatique moyen ou faible (5). Il n’est donc pas surprenant que croyances, opinions et informations partielles ou erronées doivent être clarifiées et débattues. Mais où se trouvent les espaces propices à ces dialogues?

En 2024, le Centre d'écologie urbaine a lancé Jasons climat, un projet pilote d’ateliers de dialogues sur le climat dans 14 milieux de travail, municipalités et organismes de la grande région montréalaise, rassemblant plus de 200 participants. Ces échanges libres et bienveillants permettent d’aborder des enjeux complexes sans animosité, unissant parfois les participants autour d’une vision commune de la transition climatique. Le dialogue désamorce les tensions et renforce le lien social, tout en permettant de s’informer pour faire des choix éclairés. D’autres organisations ouvrent également des espaces de dialogues, que ce soit l'Institut du Nouveau Monde en invitant les gens de différentes régions à s’interroger sur la mobilité du futur ou Communagir en traduisant en récits les réalités d’habitants de régions impactées par les changements climatiques. 

Ces exemples montrent qu'il est possible de créer des lieux pour discuter, briser nos chambres d'écho, encourager l'empathie et trouver des solutions ensemble. 

Plutôt que de répliquer avec sarcasme, Julie demande : « Tu penses que devenir végétarien briserait l’économie rurale ? ». Surprise, la table se tait. Julie ajoute calmement : « J’ai lu que plusieurs fermes diversifient leurs cultures et trouvent ça rentable. Peut-être qu’une transition serait possible. Qu’en penses-tu ? ». De cette simple question, Diane raconte l’histoire d’un agriculteur local engagé dans ce mouvement. Même Francis nuance son propos. L’échange ne résout pas tout, mais montre que bienveillance et ouverture apaisent les discussions tendues.

Dans un contexte de crise climatique, ce dialogue devient précieux. En 2025, souhaitons-nous collectivement plus d’espaces d’échange et d’apprentissage. Une société capable de s’écouter est une société capable d’agir. Et si tout commençait autour de notre table de réveillon?

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(1) et (2) : Selon l’étude De la polarisation sociopolitique au Québec de CROP, en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde

(3) : Selon un sondage Léger de 2021

(4) : Selon le Baromètre de la transition des entreprises 2024 de Québec Net Positif

(5) : Selon le Baromètre de l’action climatique 2024 de l'Université de Laval

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